Introduction

photo de tous les participants
Martha Langford et Johanne Sloan

Le 31 octobre 2012, 27 chercheurs canadiens étaient réunis à Montréal pour une journée d’étude sur le thème Knowledge and Networks: Canadian Art History, circa 2012 (« Savoir et réseaux : histoire de l’art canadien vers 2012 »). L’événement était organisé par l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky de l’Université Concordia. Les participants, un mélange équilibré de chercheurs établis et émergents, venaient de l’Université de la Colombie-Britannique, de l’Université du Manitoba, de l’Université York, de l’Université de Toronto, de l’Université Carleton, de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université Concordia, de l’Université McGill, de l’Université du Nouveau-Brunswick et de l’Université NSCAD. Des représentants d’organismes nationaux consacrés aux arts visuels, comme le Centre de l’art contemporain canadien (Winnipeg) et Artexte (Montréal), étaient également présents. La tenue de l’événement était soutenue par la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, avec l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Martha Langford, titulaire de la chaire de recherche et directrice de l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, ainsi que Johanne Sloan, directrice du programme d’études supérieures du Département d’histoire de l’art et directrice adjointe de l’Institut, ont planifié l’activité et animé les quatre séances.

L’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky a convoqué la rencontre parce que, de l’avis de ses membres, l’histoire de l’art se trouvait à la croisée des chemins. Ses institutions et intervenants cherchaient en effet à déterminer la valeur des formes traditionnelles de production et de diffusion des connaissances, alors même que de nouvelles méthodes—numériques, virtuelles et en réseau—étaient en train de s’implanter. Dès le lancement des invitations en juin 2012, le débat s’est animé. Personne n’a remis en question l’objet ou l’opportunité de la rencontre. Dans un contexte de grande incertitude où circulaient de nombreuses idées brillantes, il semblait évident que les personnes engagées dans le domaine ressentaient le besoin d’en parler. Chacun des participants invités s’est présenté avec des nouvelles qu’il souhaitait partager et des points qu’il désirait soulever. Ces sujets les concernaient en tant qu’intervenants individuels et chefs de file du secteur. Les participants constituaient un groupe prestigieux d’intéressés reconnus dans le milieu de l’histoire de l’art canadien, non seulement parce qu’ils produisaient et possédaient des connaissances, mais aussi parce qu’ils avaient endossé la responsabilité de les diffuser et de les partager, tant au sein de leurs organismes et institutions qu’en dehors de ceux-ci, à titre d’agents de liaison entre les communautés culturelles. Ils étaient ainsi prêts à étudier la situation actuelle de l’histoire de l’art canadien et à contribuer au débat selon leurs expériences personnelles, leurs affiliations institutionnelles, leurs associations existantes et leurs objectifs futurs.

Les thèmes à l’étude découlaient des questions suivantes :

  1. Où vous situez-vous dans le débat entre la culture de l’imprimé et la culture numérique?
  2. Quels sont actuellement vos rapports à la publication de revues et de livres?
  3. Quelles restrictions ou nouvelles occasions rencontrez-vous en matière de publications?
  4. Comment le tournant archivistique transforme-t-il les recherches et leur mobilisation?
  5. Comment les nouvelles technologies influent-elles sur votre enseignement, en classe ou à distance?
  6. De quelle manière participez-vous à la transformation de projets d’expositions et d’initiatives de conservation en mode numérique et virtuel?
  7. Comment les questions d’identité, de communauté ou de lieu se posent-elles dans les nouvelles formes d’échanges de connaissances?

Ces questions n’étaient pas anodines. Elles avaient pour but d’obtenir des informations sur les plans actuels et futurs d’organismes établis ou embryonnaires. Les institutions et projets émergents comprenaient l’Art Canada Institute/Institut de l’art du Canada (ACI-IAC), le Canadian Art Commons for History of Art Education & Training (CACHET) et le Critically Canadian Historical Art Network (CCHA). Parmi les programmes plus établis figuraient Artexte, le Centre de l’art contemporain canadien (CACC), l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, le Collectif des conservateurs autochtones, la Galerie Leonard-et-Bina-Ellen et l’Association d’art des universités du Canada, ainsi que diverses publications : Journal of Canadian Art History/Annales d’histoire de l’art canadien, RACAR : Revue d’art canadienne/Canadian Art Review et le magazine d’art contemporain Fillip. Certaines questions soulignaient de nouvelles tendances en pédagogie et en mobilisation des connaissances; d’autres s’attachaient aux défis que pose à la recherche la diminution des ressources et rappelaient aux participants que certains secteurs souffrent d’un manque d’attention chronique. Tous les participants à la journée d’étude ont compris que l’objectif de l’Institut n’était pas de réunir les activités disparates des uns et des autres sous une même enseigne, mais de chercher des points de convergence et de complémentarité, afin de diminuer le double emploi des efforts et des ressources dans un champ de recherche extrêmement concurrentiel. Les associations officielles (actives ou imminentes) offraient une solution, mais les participants ont aussi considéré les occasions de collaboration informelle et de soutien entre collègues. À tout le moins, et cela était plutôt ambitieux, on sentait qu’en partageant de l’information et des stratégies—en forgeant de nouveaux réseaux de communication—, le champ de l’histoire de l’art canadien pouvait présenter une cohérence interne accrue et devenir plus accessible au grand public. À cette fin, les formes de recherche et de mobilisation des connaissances examinées comprenaient les revues (imprimées ou en ligne), les archives, les bases de données, les encyclopédies, les expositions, la pédagogie innovatrice et la sensibilisation du public. L’économie numérique, les connaissances autochtones et les études des rapports sociaux entre les sexes figuraient dans ces débats. La pensée actuelle en sciences humaines sur les œuvres en usage partagé (« Creative Commons ») et la « mobilisation des connaissances » a alimenté la préparation de l’événement, qui visait à conceptualiser et à élaborer collectivement de nouvelles manières d’aborder la recherche en histoire de l’art.

Dans ses observations liminaires, Martha Langford a confirmé le fait que nombre des questions sur la mobilisation des connaissances déjà prises en compte par le groupe correspondaient aux champs d’investigation définis par le volet de recherche sur l’économie numérique du CRSH. Elles reflétaient ainsi des préoccupations au sujet « des outils ou des connaissances dont les créateurs de produits culturels ont besoin afin de participer pleinement à l’économie numérique ». Elle a aussi fait remarquer que l’assemblée pouvait être perçue comme une réponse des plus rapides à une récente étude de Diane M. Zorich, Transitioning to a Digital World: Art History, Its Research Centers, and Digital Scholarship 1, commandée par la Samuel H. Kress Foundation et le Roy Rosenzweig Center for History and New Media de l’Université George Mason.

Fondé sur des entrevues et des visites à huit centres américains de recherche sur l’histoire de l’art, le rapport Zorich en concluait que l’histoire de l’art numérique était marginalisée. Ses informateurs étaient, pour la plupart, des tenants d’approches plus traditionnelles de la recherche et de sa mobilisation, des universitaires qui manifestaient une grande incertitude concernant la manière d’entrer dans l’économie numérique. Leur prudence frôlait presque l’anxiété territoriale causée par la tournure des événements dans les sciences humaines numériques. Le rapport était éclairant, quoique alarmant d’un point de vue canadien, car il notait un fossé entre les générations et l’absence d’une tradition de collaboration à l’intérieur de la discipline. Si cela s’avère aussi au Canada, on peut aisément imaginer l’effet paralysant qui en résulterait sur les méthodologies avancées, comme celles qui encadrent la recherche sur les autochtones et les projets interdisciplinaires. Diane Zorich a trouvé peu d’exceptions dans une culture universitaire américaine qui se refermait sur elle-même plutôt que de s’ouvrir. Elle a remarqué « une absence de dialogue au sein du leadership de la communauté—organismes professionnels, bailleurs de fonds, leaders d’opinion et centres de recherche—sur ce que sera l’histoire de l’art au XXIe siècle, et sur le rôle joué par l’histoire de l’art numérique dans ce scénario 2 ». Elle recommandait fortement une réunion de « leaders d’opinion et de coalitions », en notant que cela ne s’était jamais fait 3.

Le rapport Zorich a été publié en mai 2012. Les historiens de l’art canadiens avaient alors déjà déterminé le besoin de dialogue et n’allaient pas attendre que les « leaders d’opinion et les coalitions » des centres de recherche américains leur montrent le chemin. La rencontre avait donc déjà été décidée. Bien que les préoccupations et conditions décrites par Zorich n’aient pas été inconnues des historiens de l’art canadiens, les participants à la journée Knowledge and Networks ont montré, par leur présence, qu’ils préféraient vivre dans une culture d’association et de collaboration. Dès le début de la rencontre, ils étaient résolus à en assurer le succès.

L’organisation de l’événement est présentée dans l’ordre du jour. Simple et efficace, elle comprenait quatre séances plénières. Les sujets étaient la publication, l’éducation, la recherche-création et une séance finale sur les valeurs respectives de la recherche individuelle et de la collaboration. Pour chacun des quatre sujets, deux personnes étaient invitées à faire des observations liminaires. Des porte-parole pour le sujet traité étaient regroupés autour d’une table, tandis que les autres participants intervenaient librement. Les discussions étaient enregistrées pour servir d’aide-mémoire aux trois doctorants de l’Université Concordia qui avaient accepté de jouer le rôle de rapporteurs : Pablo Rodriguez, pour la publication; Mark Clintberg, pour l’éducation; Sarah Watson, pour la recherche-création; et tous les trois pour la dernière séance, les questions abordées et les réflexions sur la journée.

Le moment ainsi que le lieu de la journée Knowledge and Networks: Canadian Art History, circa 2012 étaient stratégiques. L’événement s’est en effet tenu le jour précédant la conférence de l’Association d’art des universités du Canada, organisée en 2012 par Anne Whitelaw, vice-présidente de l’Association ainsi que membre du corps professoral de l’Université Concordia et de l’Institut Gail et Stephen A. Jarislowsky. Ces activités ont été mutuellement profitables, et l’Institut espère répéter l’expérience au cours des années à venir.