Séance 2. La collaboration comme méthodologie

Convoquée par Erin Silver, professeure associée, Department of Art History, Visual Art & Theory, University of British Columbia
Compte rendu rédigé par Georgia Phillips-Amos, doctorante, Université Concordia

La séance La collaboration comme méthodologie a été convoquée par Erin Silver (professeure associée, University of British Columbia) qui a affirmé que tous les produits du labeur en histoire de l’art « se présentent comme des indices de multiples processus de collaboration ». Plutôt que de porter sur les résultats finaux de la pratique en histoire de l’art – textes spécialisés, expositions ou œuvres, par exemple –, Silver a demandé ceci : « De quelle manière les historiennes et historiens, les commissaires, les chefs de rédaction et les artistes travaillent-ils aujourd’hui sur un mode collaboratif ? » Cette question a donné lieu aux considérations d’un groupe de six conférencières et conférenciers sur les diverses formes de collaboration implicite et explicite qu’ils pratiquent.

La séance a commencé avec les exposés de deux conférenciers qui travaillent à la fois comme artistes et historiens de l’art : Mark Clintberg (professeur associé, Alberta College of Art and Design) et Randy Lee Cutler (professeur agrégé, Emily Carr University of Art + Design). Ils ont offert chacun des réflexions méthodologiques sur leurs propres projets de collaboration récents, soulignant les défis et les possibilités créés en travaillant avec d’autres et en repensant les outils et les cadres institutionnels qui valident et facilitent le travail partagé et interdisciplinaire.

À la suite de ces remarques, quatre parties prenantes ont fait des présentations à partir de leurs champs respectifs : Adriana Alarcón a parlé de son travail de coordonnatrice des programmes et du rayonnement public à Mentoring Artists for Women’s Art (MAWA), à Winnipeg ; Elizabeth Cavaliere, boursière postdoctorale, a partagé les résultats d’une recherche qu’elle a réunis à partir d’un sondage national sur les approches collaboratives utilisées et imaginées par des enseignantes et enseignants en histoire de l’art canadien dans les universités canadiennes ; Kari Cwynar a parlé de sa collaboration avec des artistes dans son rôle de conservatrice de l’art public à Don River Valley Park, à Toronto ; et Robin Simpson (doctorant, University of British Columbia) a soulevé une série de questions sur les formes plus implicites de collaboration dans son travail de coordonnateur des programmes publics et de l’éducation à la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen, à l’Université Concordia.

Un regard oblique : la collaboration au temps de la distraction continue

Mark Clintberg a débuté son exposé par la question suivante : « Quelles responsabilités ai-je comme collaborateur identifié queer ? » En réponse, Clintberg a souligné divers courants queer de recherche et de pratique artistique collaboratives. Il a cité le chemin montré par Audre Lorde dans son important essai de 1978, « The Uses of the Erotic », dans lequel elle écrit : « Afin de se perpétuer, toute oppression doit corrompre ou déformer les différentes sources de pouvoir dans la culture de l’opprimé qui peuvent lui donner l’énergie du changement. Pour les femmes, cela a signifié une suppression de l’érotique puisque celui-ci est considéré comme une source de pouvoir et de renseignement dans nos vies1. » Lorde avance que l’érotique peut déclencher un changement structurel, idée que reprend Clintberg : il définit la force inhérente à la collaboration comme une « puissance érotique ».

À partir de l’utilisation de l’érotique par Lorde comme ressource politique puissante, Clintberg emploie le terme de « frottage » [N.d.T. : en français dans le texte] pour décrire ce qui se passe quand nous collaborons. Selon cette notion de Clintberg, nous nous « frottons » aux idées des étrangers. Il a expliqué qu’en pratiquant la collaboration, nous sommes obligés d’adopter une attitude responsable et honnête envers les personnes avec qui nous collaborons. Clintberg a parlé en termes positifs de heurts entre ces dernières, puisque ces heurts forcent les participants à se rencontrer et à travailler dans la différence. Il voit la chose comme une tactique importante pour résister à ce que Sarah Schulman qualifie, dans son livre Gentrification of the Mind2, de perte de l’imagination. Dans la foulée de l’avertissement de Schulman à propos de la pause pacificatrice introduite par la similitude, Clintberg privilégie le frottage dans sa propre pratique comme moyen de rencontrer continuellement des idées complètement différentes des siennes.

Clintberg a mis en relief divers exemples de collaboration interdisciplinaire ou de frottage dans ses projets. Pour la création Passion Over Reason / La raison avant la passion (2014), Clintberg a travaillé avec dix-sept membres de la Winds and Waves Artisan’s Guild, à Fogo Island, pour produire une série de courtes-pointes faites à la main en hommage à Joyce Wieland. En 2014, il a partagé une résidence de recherche avec Zoë Chan à Articule, à Montréal, où les deux ont coordonné discussions, fabrication d’affiches, blogage, courses à l’épicerie et cuisine dans une exploration du goût et de l’hospitalité gastronomiques. En 2016, le Journal of Curatorial Studies a publié l’un des nombreux articles co-écrits par Clintberg et Jon Davies, intitulé « Haunted by Queer Affect: Geoffrey Farmer’s The Intellection of Lady Spider House and Allyson Mitchell’s Killjoy’s Kastle », une exploration de l’affect queer et des manières dont les liens et la collaboration interpersonnels jouent un rôle central à la fois dans la méthode et le sujet des projets de Farmer et de Mitchell. Clintberg a également renvoyé à divers projets en série qu’il a réalisés avec l’artiste Benny Nemerofsky Ramsay, dont Garde Rose (2012, 2015, 2019), une fête récurrente d’échange de fleurs, et une participation en duo à l’exposition collective For the Last Guest (2014, 2016, 2020), dans laquelle des fleurs emballées dans du papier étaient installées à Oakville Galleries comme souvenirs que les derniers visiteurs de la galerie, à chaque jour, étaient invités à ramener chez eux.

Clintberg a parlé de modèles de collaboration queer sur lesquels il espère continuer à construire. Ceux-ci comprennent des projets itératifs comportant « une conversation soutenue avec une voix ou des voix autres », des interactions entre collaborateurs au-delà d’objectifs intellectuels ou créatifs communs, une acceptation positive des avantages de la révision avec « une ouverture sincère sur la réécriture et l’insertion des idées de quelqu’un d’autre » et des rencontres avec la différence qui surprennent et forcent les collaborateurs à poser un regard oblique sur leurs propres points de vue. « Au mieux, avance-t-il, collaborer signifie partager un espace et des ressources pour étudier la différence. »

Tout au long de son exposé, Clintberg a signalé l’important déséquilibre en ce qui a trait à la valeur conférée au travail fait en collaboration, lequel est souvent jugé inférieur aux projets, expositions et publications faits à titre individuel. À propos de cet enjeu, Clintberg a posé la question tactique suivante : « Comment pouvons-nous jeter un éclairage plus favorable sur la collaboration pour nos institutions et nous-mêmes ? » Il a conclu en encourageant les personnes présentes à soutenir la collaboration dans la production de leurs propres œuvres, de même que dans la prise de décisions liées à l’embauche et à l’attribution de bourses.

Leaning Out of Windows : des collaborations entre l’art et la physique

La présentation de Randy Lee Cutler a porté sur Leaning Out of Windows: Art and Physics Collaborations Through Aesthetic Transformations (LOoW), un projet de quatre ans (2016-2020) financé dans le cadre du programme Savoir du CRSH et élaboré par Cutler avec Ingrid Koenig. Dans une tentative de produire des explorations interdisciplinaires de la réalité et d’élargir les possibilités de communication entre les membres des facultés, Cutler et Koenig ont conçu une plateforme de collaboration entre l’Emily Carr University et TRIUMF, le centre d’accélérateur de particules du Canada à la University of British Columbia. LOoW réunit des artistes (provenant de la musique, de la danse, des lettres, de la peinture, de la sculpture et de la photographie) et des physiciens théoriciens, des experts en physique expérimentale et des ingénieurs, pour poser la question suivante : « Comment les échanges artistiques et scientifiques peuvent-ils être compris à travers le champ de la pensée collaborative, en nous engageant collectivement d’une discipline à l’autre ? Comment pouvons-nous mobiliser les divers langages utilisés par les artistes et les scientifiques pour produire de nouvelles idées et leurs visualisations ? En réfléchissant à ces questions, qu’avons-nous à perdre et à gagner pour construire un réseau de connaissances mieux intégré ? »

Devant le défi posé pour en arriver à des définitions communes de la créativité, de la beauté, de la métaphore et de la communication entre les domaines artistique et scientifique, Cutler et Koenig sont guidées dans leur projet par un intérêt pour ce que ces champs distincts peuvent apprendre l’un de l’autre. Leur objectif, tel qu’affirmé sur le site web de LOoW, est « de transformer la grammaire des connaissances abstraites en abordant précisément les phénomènes à peine discernables étudiés en physique au moyen de l’esthétique, de l’analogie, de la métaphore et d’autres méthodes inventives3 ». De manière plus générale, le projet est une tentative de produire de nouvelles méthodes de collaboration interdisciplinaire.

Cutler décrit une série de « relais », soit des processus de création durant lesquels on demande aux scientifiques de cadrer un sujet scientifique sans s’appuyer sur des équations scientifiques ou sur le langage de la science. En retour, les artistes réagissent aux concepts de ces derniers par les arts visuels, allant de la sculpture à la photographie, de la danse aux médias interactifs. Il ne s’agit pas pour les artistes d’illustrer les travaux des physiciens, mais plutôt d’y réagir par leur pratique, avec leurs propres questions et intuitions.

En tant que projet de collaboration, LOoW fait montre de ce que Clintberg décrit avec le mot « frottage ». En collaborant, les participantes et participants en viennent à s’engager dans un langage et avec des concepts qui ne leur sont pas familiers ; ils en viennent à se pencher au dehors (lean out) des limites de leurs disciplines et à poser un regard en biais sur leurs positions. En lien avec sa tentative de développer des structures de pensée collaborative, Cutler a parlé des avantages à tirer en laissant une progression irréfléchie structurer des rencontres, avançant qu’un dialogue plus sinueux permet au subconscient d’entrer dans la conversation avec des langages et des modes de compréhensions divergents. Dans les interstices entre les gens et les disciplines, de nouvelles façons de parler se font nécessairement jour.

MAWA et la pratique artistique collaborative

Adriana Alarcón a parlé des projets collaboratifs qu’elle contribue à organiser à titre de coordonnatrice des programmes et du rayonnement public à Mentoring Artists for Women’s Art (MAWA) à Winnipeg. MAWA a coordonné trente-deux programmes en arts visuels pour les femmes uniquement durant l’année précédente. Alarcón a abordé le rôle de la collaboration dans la gestion de MAWA, de même que dans une série d’ateliers, de publications et d’expositions réalisés en collaboration et coordonnés par l’institution.

MAWA a démarré en 1984, en réaction à la réalisation que les femmes étaient, dans un nombre disproportionné, sous-représentées dans les collections muséales, les expositions, l’attribution de bourses et autres opportunités professionnelles. Dès lors, le Foundation Mentorship Program est devenu l’activité principale de MAWA. Comme Alarcón l’a décrit, ce programme de mentorat offre une relation en tête-à-tête entre une artiste établie et une artiste émergente, tout en entourant les mentorées d’un groupe de pairs pendant un an. Les mentores et les mentorées se rencontrent individuellement pendant quatre heures à chaque mois, et tout le groupe se réunit pendant trois heures par mois pour des visites de commissaires, d’ateliers et de galeries, ainsi que des discussions. À chaque année, le programme se conclut par un projet collaboratif.

L’année dernière, MAWA a publié Desire Change: Contemporary Feminist Art in Canada, sous la direction de la docteure Heather Davis. Alarcón a décrit Desire Change comme étant le premier sondage sur l’art féministe, toutes disciplines confondues, à être publié sous forme de livre au Canada. L’ouvrage rassemble quatorze essais rédigés par des historiennes, des artistes et des commissaires présentant une variété de pratiques artistiques, dont la performance, l’installation, la vidéo, l’art textile et la photographie. Plusieurs des personnes ayant contribué à la publication étaient sur place, dont Kristina Huneault (professeure et directrice du programme de 3e cycle en histoire de l’art, Université Concordia) et Alice Ming Wai Jim (professeure et titulaire de la chaire de recherche en histoire de l'art ethnoculturel, Université Concordia).

Alarcón a parlé d’une autre série de programmes réunis sous le titre Cross Cultural Crafts, dans laquelle des femmes autochtones et non canadiennes mènent des ateliers d’artisanat. Ces derniers comprennent une gamme d’activités allant de la fabrication de jupes à rubans anishinaabe au tressage, en passant par la broderie au point de croix ukrainienne. En conclusion, elle a parlé de Resilience, un projet commissarié par Lee-Ann Martin, dans lequel cinquante œuvres d’art réalisées par des femmes artistes autochtones contemporaines ont été présentées sur plus de 160 panneaux d’affichage à travers le pays, du 1er juin au 1er août 2018. Alarcón a décrit Resilience comme une « avenue où partager une voix collective à travers le paysage ».

Réseaux de collaboration dans l’enseignement de l’histoire de l’art au Canada

Elizabeth Cavaliere, boursière postdoctorale à l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, a fait un exposé sur sa recherche institutionnelle en cours pour déterminer comment l’histoire de l’art canadien est enseignée à travers le pays. Elle a dit de sa recherche qu’elle était guidée par quatre questions centrales : « Qui enseigne quoi ? Comment cela est-il enseigné ? Comment peut-on le faciliter ? Pourquoi enseigne-t-on l’histoire de l’art canadien ? » Cavaliere a avancé que la motivation sous-jacente à son projet a été la question critique et persistante : « Les professeures et professeurs d’université ne tireraient-ils pas profit d’une approche collaborative des pratiques de l’enseignement, et quelles formes prennent ces collaborations ? »

Jusqu’à ce jour, Cavaliere a visité dix-neuf universités où l’histoire de l’art canadien est enseignée au 1er cycle. Dans chaque cas, Cavaliere a rencontré des directrices et directeurs de galeries universitaires et des archivistes, de même que le personnel enseignant, les chercheures et chercheurs, espérant trouver les manières dont des réseaux se développent ou non dans et entre les institutions. Elle a décrit combien est apparu rapidement le fait que les réseaux de collaboration sont « vitaux pour le personnel enseignant dans l’élaboration des contenus de cours ». Au-delà des réseaux de connaissances, Cavaliere a souligné que les contenus de cours ont tendance à être limités par le régionalisme, la langue et le colonialisme. Selon sa recherche, les contenus de cours sont « fondamentalement façonnés par un accès aux ressources lui-même déterminé par le lieu ». Les universités situées dans les villes ont un vaste accès aux musées et aux galeries publiques et commerciales, alors que celles situées dans des communautés plus retirées font face à un accès limité à ces ressources. Avec des ressources aussi disparates mais des besoins similaires entre les institutions, Cavaliere pose la question suivante : « Qu’est-ce que l’Histoire de l’art canadien – ou les Histoires de l’art canadien – exactement ? »

Sans offrir de réponse précise, Cavaliere a avancé, à partir de sa recherche, que la collaboration joue un rôle crucial dans le façonnement de l’enseignement de l’histoire de l’art à tous les niveaux au Canada. La collaboration, a-t-elle démontré, « va du local, au national, du physique au virtuel » ; la collaboration peut contribuer à approfondir et à enrichir les manières dont le corps enseignant situe l’art dans une « discussion très réelle et pertinente des histoires coloniales » ; la collaboration « fait entrer les artistes, les membres de la communauté et les aînés dans la salle de cours, dans l’expérience étudiante de l’éducation et dans les processus de création du savoir » ; et la collaboration « sous-tend une série complexe et dynamique de relations horizontales qui traversent les départements, les universités et les institutions ». Cavaliere a conclu en soulignant le fait qu’un désir de collaboration a invariablement émergé de tous ces départements disparates, l’un d’entre eux décrivant sa ressource idéale comme étant simplement une liste des autres personnes au Canada enseignant dans le même champ.

L’accompagnement comme stratégie première

Kari Cwynar a présenté un exposé sur la collaboration dans le contexte de son récent travail commissarial dans le cadre du Don River Valley Park Program. Elle a commencé en affirmant que la collaboration joue un rôle central dans sa pratique de commissaire et d’éditrice en ce qui a trait à « nos modes de travail contingents », et dans sa considération de toutes les manières de travailler en commun qui précèdent l’achèvement d’un projet. Un thème récurrent dans son travail se résume par la question suivante : « Que se produit-il quand il n’y a personne comme point central ? ».

Plutôt que de se concentrer sur les collaborations uniques, Cwynar s’est penchée sur des modes de collaboration plus quotidiens et à long terme. Considérant le commissariat comme un exercice de soutien, Cwynar a parlé de sa collaboration avec les artistes pour concevoir et installer des œuvres d’art public sur les 200 hectares d’espace vert qui composent la Don River Valley. Cwynar a décrit le programme comme une tentative de revitaliser ce qui était autrefois une ligne de partage des eaux prospère près du centre-ville de Toronto, qui a depuis été compromis par la construction de dépotoirs, d’autoroutes et de rails de chemin de fer. Cwynar a dit qu’Evergreen, la compagnie environnementale pour laquelle elle travaille, espère que la commande d’œuvres d’art dans la région fera partie d’un processus de re-naturalisation plus vaste. Elle a admis que la compagnie voit également l’art public comme un catalyseur d’embourgeoisement.

Dans son rôle de commissaire, Cwynar travaille avec les artistes pour élaborer et mener à bien des projets sur le terrain après des visites récurrentes sur le site, et aussi, possiblement, des années de conversation entre artiste et commissaire qui mèneront à l’œuvre achevée. Les idées initiales doivent souvent être réaménagées pour correspondre à l’espace prévu. Les idées sont reconstruites « de manière à rencontrer les restrictions imposées par la ville, l’organisme environnemental et le public ». Malgré le long délai requis pour coordonner ces projets, plusieurs des œuvres commandées par Cwynar sont des installations temporaires. STAGING-undressed de Maria Hassabi était une performance dansée qui s’est déroulée les 7 et 8 juillet 2017, dans le réseau de sentiers de la vallée. En novembre 2017, le collectif Life of Craphead a réalisé King Edward VII Equestrian Statue Floating Down the Don. Pour ce projet, le collectif a créé une réplique de quatre mètres et demi de la statue équestre en bronze du roi Édouard VII, présentement installée dans Queen’s Park à Toronto, et a exécuté une série de performances durant lesquelles la réplique a été jetée dans la Lower Don River. Cwynar a décrit l’une des installations permanentes, Monsters for Beauty, Permanence and Individuality de Duane Linklater, de 2017, pour laquelle ce dernier a créé une série de répliques en béton moulé des gargouilles qui ornent les édifices du centre-ville torontois et les a installées le long du Lower Don Trail. Par ces projets, Cwynar a parlé de la Don River Valley comme d’un terrain commun permettant de procéder à une exploration collaborative sur la manière dont les monuments, l’art public et l’architecture urbaine cadrent et orientent les valeurs et les histoires de la ville.

Visiter sans garantie

En tant que coordonnateur des programmes publics et de l’éducation à la Galerie d’art Leonard et Bina Ellen à Montréal, Robin Simpson a conclu la séance en prenant en considération des formes de collaboration moins visibles. Il a commencé par une recherche sur la signification des mots « implicite » et « explicite » en lien avec la collaboration. Le mot « implicite », tel que décrit par l’Oxford English Dictionary, implique « un enveloppement, un enchevêtrement, un engagement, qui n’est pas exprimé simplement mais qui se produit naturellement ». « Explicite », au contraire, est assertif, « une chose qui s’exprime sans réserve, libre de subtilités ». Simpson a avancé qu’en travaillant dans des institutions artistiques et en les visitant, nous participons aux deux modes d’engagement.

Dans son exposé, Simpson a soulevé une série de questions sur les formes de collaboration implicites qui ont lieu dans une galerie entre les personnes organisant les expositions et celles qui les visitent. Il a posé la question suivante : « Comment un visiteur active-t-il ce mode de collaboration au sein d’une institution ? De quelles manières une programmation en galerie peut-elle donner lieu à des formes d’enquête qui peuvent se transférer d’institutions à visiteurs ? » Il a également fait part d’une préoccupation à l’effet que, malgré nos intentions en tant que visiteurs et organisateurs, nous pouvons sans le vouloir nous trouver à collaborer avec des personnes qui « maintiennent des systèmes d’oppression ». Il a rappelé à l’auditoire que, dans la collaboration, on peut se trouver en situation de « friction plutôt que de frottage », comme on peut se trouver en désaccord implicite ou explicite avec des collaborateurs et collaboratrices visibles et invisibles.

Dans l’esprit de cette séance, Simpson a conclu en posant une question ouverte quoique critique : « Quelle éthique y a-t-il dans le fait de visiter des formes de collaboration dépourvues de sagesse et de s’en prémunir ? » Les conversations sur une éthique et une méthodologie permettant une collaboration plus porteuse et transparente se sont poursuivies toute la journée.

  • 1 Audre Lorde, « The Uses of the Erotic: The Erotic as Power », essai originalement présenté à la 4e Berkshire Conference on the History of Women, Mount Holyoke College, le 25 août 1978, et par la suite publié sous forme de chapitre dans Sister Outsider (1984).
  • 2 Sarah Schulman, The Gentrification of the Mind: Witness to a Lost Imagination, Oakland, University of California Press, 2013.
  • 3 Voir : www.leaningoutofwindows.org.