Séance 3. Iseechigehina : des actions avec un impact

Convoquée par Sherry Farrell Racette, professeure agrégée, Faculty of Media, Art and Performance, University of Regina
Compte rendu rédigé par Daniela Perez Montelongo, doctorante, University of British Columbia

Dans son préambule, la modératrice de la séance Sherry Farrell Racette a abordé certains des défis exigeants auxquels font face les arts autochtones au Canada, donnant comme exemples de récents cas d’appropriation culturelle1. Reconnaissant que ces défis dominent souvent le champ discursif de l’art autochtone, la séance de Farrell a mis en relief l’importance de réorienter l’attention vers des projets autochtones artistiques et commissariaux d’importance qui transforment le monde académique et institutionnel. La question sous-jacente proposée durant cette séance fut : « Quelles autres réalisations sont méconnues ? » Plus directement : « Pourquoi ne parle-t-on pas de ce dont on devrait parler ? »

Farrell a ensuite analysé le mot Iseechigehina, le concept cri qui donne son nom à la séance. Ce concept renvoie à un mode de pensée axé sur la stratégie, qui implique toujours une action. Comme le soulignera ce compte rendu, certaines des caractéristiques les plus pertinentes des « actions avec un impact » présentées comprenaient : une volonté de reconnaître et/ou d’attirer l’attention sur des histoires autochtones effacées, le développement de pédagogies autochtones avec un engagement à éduquer les publics à la fois autochtones et non autochtones, et, enfin, une relation collaborative soutenue avec les communautés autochtones. Offrant un contrepoint à la négativité générale produites par des procès échoués et l’appropriation culturelle, Farrell a ouvert l’espace pour une discussion sur trois projets culturels qui illustrent parfaitement des « manières d’avancer » dans ce moment contemporain pas encore postcolonial.

Les trois principaux présentateurs étaient Dana Claxton (professeure agrégée, Department of Art History, Visual Art and Theory, University of British Columbia) ; Heather Igloliorte (titulaire de la chaire de recherche en histoire de l'art et en engagement communautaire autochtone de l'Université Concordia) ; et Jordan Wilson (commissaire indépendant). Les parties prenantes de cette séance étaient : Jaimie Isaac (commissaire, art autochtone et contemporain, Winnipeg Art Gallery) ; Kristina Huneault (professeure, département d’histoire de l’art, Université Concordia) ; Michelle McGeough (professeure associée, Art History, Visual Art and Theory, University of British Columbia) ; et Carmen Robertson (professeure, Art History and Indigenous and Canadian Studies, Carleton University).

Histoires cachées – Reconnaître l’effacement

Les exposés ont mis en évidence le fait que l’occlusion des histoires autochtones résulte de leur imbrication dans des relations de pouvoir coloniales précises, lesquelles ont facilité la prédominance de certains récits relativement à d’autres. Les panelistes Heather Igloliorte (Inuite) et Jordan Wilson (Musqueam) ont partagé leur expérience de co-commissaires de projets d’exposition basés sur la communauté et visant à attirer l’attention sur des histoires méconnues au sein même des communautés. L’exposition SakKijajuk: Art and Craft from Nunatsiavut commissariée et discutée par Igloliorte réagissait à l’attention inégale accordée à l’art inuit de Nunatsiavut, dont la disparité et l’isolement résultent sans doute d’une expérience particulière du colonialisme. Également d’un point de vue commissarial, Wilson a parlé des manières dont l’exposition collaborative présentée dans trois sites c̓əsnaʔəm: the City Before the City visait à attirer l’attention sur les histoires musqueam et sur des sites ancestraux qui ont non seulement été négligés, mais aussi physiquement détruits par le développement urbain à Vancouver, comme on peut le constater avec la construction de condominiums entreprise sur le cimetière de c̓əsnaʔəm2. Du point de vue de sa pratique artistique, l’installation à quatre canaux de Dana Claxton intitulée The Sioux Project – Tatanka Oyate résulte également d’un sentiment d’occlusion. En fait, la question de départ de Claxton donne le ton à son projet et l’aligne sur la conscience d’une « absence » problématique d’Igloliorte et de Wilson. Quelques-unes des questions de recherche de Claxton furent : « Où se situe l’esthétique sioux dans le sud-ouest de la Saskatchewan ? Où sont nos artistes ? »

Igloliorte a parlé de l’histoire paradoxale des Inuits du Nunatsiavut qui, même s’ils ont été les premiers Inuits à établir un contact avec les cultures européennes dans ce qui deviendrait plus tard le Canada, ont reçu très peu d’attention en comparaison avec les artistes inuits du Nunavut. Bien que l’art inuit du Labrador ait été l’un des premiers de l’Inuit Nunangat a faire partie de collections muséales, Igloliorte suggère que, résultant de l’évangélisation hâtive du territoire, l’art inuit du Nunatsiavut a été considéré moins « authentique » et, donc, moins commercialisable. Conséquemment, les arts de la région n’ont pas participé à la soi-disant renaissance de l’art inuit et à l’émergence d’un marché de l’art inuit au début des années 1950. Cette exclusion, explique-t-elle, a eu pour conséquence la marginalisation à long terme de l’art du Nunatsiavut et le manque de financement continu des arts de la région. Igloliorte a préfacé cette histoire, en traduisant le titre indigène de l’exposition SakKijajuk par « être visible ». Effectivement, l’objectif du projet semble consister à faire sortir de l’invisibilité les arts du Nunatsiavut.

L’observation d’Igloliorte va au-delà du domaine de l’art du Nunatsiavut et signale un enjeu plus généralisé : l’utilisation de catégories comme « authentique » et « inauthentique » à partir du degré d’influence occidentale sur les arts autochtones. Éviter la reproduction et le renforcement de ce type de binaires essentialisants est un aspect crucial de toute pratique commissariale décoloniale contemporaine, comme celle d’Igloliorte.

L’exposé de Claxton portait sur son projet de recherche de quatre ans, qui s’est déroulé dans les communautés sioux rurales et urbaines de la Saskatchewan. Claxton a partagé les motivations initiales qui sous-tendent le projet, mentionnant la visibilité étonnamment limitée de l’esthétique sioux sur son propre territoire, en comparaison de l’ubiquité des conceptions en courbes figuratives de la côte Nord-Ouest dans des centres urbains comme Vancouver, où l’artiste est présentement établie. Claxton a déclaré : « L’esthétique sioux n’est pas disponible commercialement. Cependant, The Sioux Project ne visait pas à redresser cette absence en commercialisant et en faisant circuler l’art sioux sur le marché ou en le présentant comme une forme de beaux-arts dans une salle de musée. Plutôt, Claxton a créé un espace pour les pratiques culturelles sioux en procédant à des entrevues avec une grande variété d’artistes sioux qui ont diversement partagé leur savoir, leurs récits et/ou leur art. L’esthétique sioux, a souligné Claxton, est incarnée et se trouve donc principalement hors de l’espace de la galerie. Le projet de Claxton a initié Regina à des formes d’art sioux jusque-là absente des espaces culturels conventionnels de la région. La réaction de l’un des commissaires de l’exposition à Regina a réaffirmé ce sentiment d’absence : « J’ai vécu à Saskatoon toute ma vie. Pourquoi n’ai-je jamais croisé l’esthétique sioux ?3 »

Dans son exposé, Jordan Wilson a avancé qu’un aspect essentiel de l’exposition c̓əsnaʔəm: the City Before the City était de montrer l’effacement d’au moins 9000 ans d’histoire des Musqueam par la destruction matérielle de sites ancestraux sur leur territoire traditionnel. Wilson a mentionné la tentative délibérée de faire taire les revendications des Musqueam par rapport à l’ancien village de c̓əsnaʔəm en faisant circuler des récit archéologiques suggérant ironiquement que les Musqueam ne venaient pas, en fait, de la région, mais qu’ils avaient plutôt déplacé d’autres peuples qui occupaient à l’origine cette terre. L’exposé de Wilson a mis en relief le sentiment de responsabilité de redresser cette désinformation qui circule, en travaillant avec la communauté. L’objectif éducatif de l’exposition était de soutenir le film documentaire du même titre, qui élargissait les possibilités de faire circuler l’histoire orale documentée lors d’entrevues menées pour les expositions. Wilson a mentionné la résistance rencontrée par l’exposition chez les autorités officielles, manifestée par le manque de soutien financier dans les premières étapes du projet. Enfin, bien que non mentionné explicitement par Wilson, sa discussion sur l’occlusion des histoires des Musqueam pourrait être reliée à la hiérarchie construite des Premières Nations de la côte Nord-Ouest, par laquelle les nations du nord, comme les Haïdas, en sont venues à dominer le discours. D’une certaine manière, la destruction des sites patrimoniaux des Musqueam semble symptomatique de cette hiérarchie.

Une stratégie intéressante que c̓əsnaʔəm partage avec The Sioux Project est la décision de ne pas présenter des biens culturels, privilégiant de la sorte le récit oral et le témoignage comme composante principale de l’exposition. En fait, Wilson a déclaré que l’équipe commissariale a décidé de ne pas montrer les quelque 10 000 biens culturels des Musqueam retirés du site archéologique, mais plutôt de se concentrer sur les valeurs, l’histoire orale et la culture intangible fournies par les nombreuses entrevues avec des membres de la communauté. De la même façon, même si Dana Claxton était intéressée à montrer l’esthétique sioux dans l’espace d’une galerie, elle a reconnu que ce n’était pas nécessairement une priorité pour les communautés avec lesquelles elle travaillait, ce qui lui a fait mettre en doute l’idée même de « créer de l’espace pour les artistes isolés ». Sa réflexion signalait le fait que révéler des histoires cachées peut présenter ses propres problèmes.

Ces décisions et ces réflexions mettent en cause, de manière importante, la nécessité d’exposer des matériaux culturels afin de générer des connaissances et d’éduquer le public, mettant ainsi de l’avant une autre stratégie commissariale autochtone.

Pédagogie et mentorat autochtones

À la suite des remarques de Farrell Racette dans son résumé et son introduction, durant toute la séance, on a insisté sur des formes d’éducation autochtones et sur le développement de stratégies, comme la passation de compétences artistiques aux jeunes Autochtones. Les méthodes et les stratégies visant à traiter de ces questions ont été, de toute évidence, essentielles à certains des projets présentés, voire en ont fait partie intégrante.

Tout au long de son exposé, Claxton a mis en évidence que le processus même de réalisation de Tatanka Oyate4 a été aussi important que le résultat final, en particulier la participation de la jeunesse autochtone des réserves de Standing Buffalo et de White Cap. Claxton a mis sur pied des camps d’entraînement par vidéo pour donner aux jeunes participantes et participants les connaissances nécessaires pour devenir l’équipe de tournage et de montage de l’installation vidéo finale. Ce faisant, le projet de Claxton est devenu un moyen de transmettre à la jeunesse autochtone certaines des compétences qu’elle utilise dans son propre travail vidéo, se positionnant ainsi elle-même comme mentore auprès ces jeunes.

Appuyant l’accent mis par Claxton sur le mentorat, Michelle McGeough (Métis) a souligné l’importance de créer des programmes de formation visant à « autochtoniser la pratique commissariale ». Pendant qu’elle se consacrait au développement de l’un des premiers programmes commissariaux autochtones à l’Institute of American Indian Art, à Santa Fe, McGeough s’est efforcée d’offrir des expériences pratiques à la jeunesse autochtone, espérant encourager les finissantes et finissants à retourner dans leurs communautés respectives et à continuer à développer leur pratique selon les besoins précis de ces communautés.

Protocole et cérémonie autochtones

Une autre approche des manières de faire autochtones qui est ressortie de l’exposé a été la question du protocole. Dans son intervention, Jaimie Isaac (Anishinaabe) a présenté de nombreuses expositions qui abordent sa recherche sur les pratiques commissariales décoloniales. L’un des exemples qui s’est démarqué a été l’inauguration de l’exposition We Are on Treaty Land, à la Winnipeg Art Gallery en 2016. Isaac a soutenu que le respect du protocole et la reconnaissance du territoire sur lequel est située cette institution étaient des préoccupations importantes pour elle en tant que commissaire. Pour la première fois à la Winnipeg Art Gallery, les Chefs et le conseil du territoire du traité 1 étaient invités à la cérémonie d’inauguration. Les membres de la communauté étaient également invités, de même qu’un groupe de tambours de femmes et une jeune danseuse. L’ouverture de l’exposition, a avancé Isaac, a transformé l’espace du musée en un « endroit culturellement sécuritaire ».

La suggestion d’Isaac à l’effet que l’espace muséal peut être transformé par la présence et le protocole autochtones a fait écho au commentaire de Carmen Robertson (Lakota/Écossaise) concernant l’inauguration de l’exposition The Sioux Project à la Mackenzie Art Gallery. Robertson a décrit le musée comme un « espace cérémonial », à partir du caractère sacré des images, des couleurs et de la résonance du travail immersif de Claxton dans l’espace à quatre directions de le Sun Dance. L’événement a également été marqué par la présence des membres de la communauté qui ont partagé des connaissances sacrées et ont raconté des histoires. Robertson a caractérisé la fête lors de l’inauguration comme une façon de « redonner » à la communauté, mettant en avant la réciprocité. La centralité de la célébration et du rassemblement a également été illustrée par la fête Wopila organisée pour Claxton pour qu’elle se présente, en début de projet, à la communauté de Standing Buffalo.

Loin d’être secondaire, l’engagement avec les protocoles spécifiques de chaque communauté est au cœur de la recherche autant artistique que commissariale. Le protocole autochtone établit un cadre dans lequel la culture peut être partagée et présentée. Commentant le processus de prise de décision partagée pour l’exposition c̓əsnaʔəm: The City before the City, Wilson a dit : « les choses demandent du temps ». Fonctionner avec le protocole autochtone pose des défis ; cependant, les projets présentés durant la séance ont confirmé que c’est le chemin le plus propice vers le progrès.

Méthodologies collaboratives et projets basés sur la communauté

La caractéristique la plus fondamentale des trois projets est sans doute un engagement envers les méthodologies collaboratives. Ces collaborations s’appuient sur les communautés autochtones auxquelles appartiennent les présentatrices. Les exposés ont fait état des procédures adoptées par chacun des projets, soulignant l’adoption de méthodes et de protocoles autochtones comme principes organisationnels.

Claxton s’est assurée de la participation de la communauté du début à la fin de son projet. Son rapport à la communauté de Standing Buffalo, par exemple, a été initié par une présentation qu’elle a faite dans le gymnase de l’école afin de partager ses objectifs et ses intérêts avec la communauté. Son intérêt pour le développement de liens forts et soutenus avec les communautés a été renforcé par les nombreuses visites qu’elle a faites à Standing Buffalo durant son projet quadriannuel.

Une autre étape a consisté en une ouverture à la communauté sioux élargie du sud-ouest de la Saskatchewan quand une invitation a été lancée aux artistes et aux praticiennes et praticiens culturels pour qu’ils partagent leurs histoires, ce qui a donné lieu à trente-six entrevues. Dans son exposé, l’artiste a souligné l’ouverture de l’espace permis par le contexte. La diversité des pratiques culturelles documentées (allant de la personne fabriquant des courtes-pointes à motif d’étoile au fournisseur de maïs cérémonial), la dynamique ouverte des entrevues et l’engagement de la jeunesse autochtone signalent la forme d’auctorialité répartie de ce projet, qui fait que Claxton s’est décentrée comme artiste et a invité la multiplicité au sein de sa pratique.

Comme The Sioux Project, SakKijajuk: Art and Craft from Nunatsiavut a également été initié par des visites dans la communauté, ce qui représente un investissement financier énorme en Arctique. C’est par ces visites qu’Igloliorte, ses collègues et la communauté ont déterminé que l’exposition ne porterait pas sur un médium particulier, mais qu’elle serait ouverte à toute œuvre soumise. En ce sens, l’exposition a été « menée par la communauté ». En fait, tout comme les interactions de Claxton avec les artistes sioux, Igloliorte a donné aux artistes participants une autonomie entière. Le projet a offert les matériaux nécessaires aux artistes pour réaliser leurs œuvres, et l’exposition mettait des œuvres en vente avec des prix de base fixés. Ces initiatives visaient nettement à soutenir la communauté artistique de Nunatsiavut. Par l’écriture, Igloliorte a continué à se pencher de manière critique sur le processus de développement d’une exposition à partir des questions de fond suivantes : « comment faire les choses d’une manière inuite ? » et « comment faire entrer le savoir inuit dans les institutions occidentales ? ».

Comme SakKijajuk: Art and Craft from Nunatsiavut, l’élaboration de c̓əsnaʔəm: the City Before the City s’appuyait sur des principes de recherche collaborative. Wilson a expliqué que cela comportait le partage du pouvoir pour la prise de décisions et un engagement continu avec la communauté musqueam. Plus précisément, Wilson a expliqué qu’un « groupe consultatif » composé de membres de six communautés a guidé le processus de l’exposition. Cette pratique a été réitérée, durant cette séance, par la stratégie utilisée par McGeough consistant à créer deux comités commissariaux pour l’exposition Through their Eyes: Indian Painting in Santa Fe 1918–1945, l’un composé d’aînés et l’autre d’artistes contemporains. De plus, le processus de recherche de c̓əsnaʔəm: The City Before the City s’appuyait sur une écoute attentive des récits et du savoir des aînés, une expérience extrêmement enrichissante qui a solidifié les liens de Wilson avec sa communauté. En fait, comme The Sioux Project, c̓əsnaʔəm: the City Before the City était principalement construit à partir de plusieurs entrevues menées auprès d’aînés musqueam.

McGeough a laissé entendre qu’une pratique commissariale autochtone se doit de répondre aux besoins précis de chaque communauté et, conséquemment, que les modèles de commissariat doivent s’ajuster à des besoins très différents. L’exposé de Wilson a mis en évidence le fait que l’exposition c̓əsnaʔəm: the City Before the City avait été menée par la communauté et s’était basée sur elle, soulevant l’urgence d’attirer l’attention sur les cimetières musqueam en train d’être détruits et profanés, et aussi d’éduquer le public à cet égard.

Les processus collaboratifs initiés par les projets présentés semblent illustrer parfaitement des aspects cruciaux des pratiques commissariales et artistiques autochtones d’aujourd’hui : le décentrement de la figure dominante de l’artiste ou commissaire de manière à mettre en relief la communauté, à la fois comme source de savoir et comme agent de prise de décision, ainsi que le rôle prédominent et l’autorité accordés à l’histoire orale et à l’art du récit autochtones.

Collaborations autochtones et non autochtones

Les commentaires de Robertson sur le projet de Claxton, de son point de vue de commissaire de l’exposition qui en a résulté à la Mackenzie Art Gallery, mettent en lumière un autre aspect des méthodologies collaboratives de Claxton. Son intervention a souligné la richesse du dialogue créé durant le colloque par la confluence des membres de la communauté, des gardiennes et gardiens du savoir, du corps étudiant, des artistes et des spécialistes. Robertson a signalé que, même si quelques membres de la communauté ont perçu la participation de spécialistes et d’universitaires non autochtones comme étant problématique, le dialogue avait été productif de manière générale. Claxton est intervenue et a confirmé la valeur d’un dialogue avec des spécialistes ayant consacré leurs vies et leurs travaux à une meilleure compréhension des cultures autochtones, affirmant l’importance de cette collaboration.

De la même manière, Wilson a souligné l’importance de la collaboration entre les Musqueam et l’historienne Susan Roy, une chercheure non autochtone spécialisée en c̓əsnaʔəm et dans l’histoire du déplacement de restes et de biens subi par le cimetière depuis des décennies. Wilson a également mentionné l’émergence d’une solidarité sincère entre le peuple des Musqueam et un nombre important de résidents de Vancouver, le résultat de manifestations organisées par la communauté musqueam pour empêcher la destruction du site, ce qui pourrait être considéré comme une autre forme de collaboration significative potentiellement renforcée davantage par les expositions. Enfin, on pourrait sans doute avancer que la collaboration institutionnelle entre le Museum of Anthropology de la University of British Columbia, le Museum of Vancouver et le Musqueam Cultural Centre qui a donné lieu à l’exposition dans trois sites est aussi une forme de collaboration entre Autochtones et non-Autochtones.

Cette approche de la pratique collaborative se retrouve clairement dans l’intervention de Kristina Huneault. De son point de vue de spécialiste colonisatrice, Huneault a introduit la question clé de « l’espace éthique occupé par les personnes assemblées dans cette salle ». Consciente du défi posé par le projet de décolonisation dans le monde universitaire, Huneault a prôné l’alliance et la collaboration. Elle a démontré l’importance de penser et d’aborder les histoires de l’art colonisatrices-coloniales, de traiter d’histoires complexes et enchevêtrées sur un mode critique. Sur le plan méthodologique, elle a suggéré qu’un changement profond pourrait peut-être commencer par une application méticuleuse de cadres conceptuels occidentaux aux arts autochtones. L’utilisation de concepts occidentaux pour discuter de l’art autochtone est-elle toujours une forme de violence épistémologique ? Ou pourrait-elle être un point d’entrée visant à encourager des rencontres et des débats productifs ?

Dans leur diversité, chacun des projets discutés a établi que le principe de base de la méthodologie autochtone en commissariat, en art et en recherche repose sur la collaboration et un engagement envers la communauté. Afin de créer des relations significatives et respectueuses, les spécialistes, artistes et commissaires non autochtones devraient s’engager dans ce type de méthodologie critique et être prêts à perturber les modes de compréhension coloniaux et colonisateurs de l’art autochtone.

  • 1 Farrell a fait précisément référence à Jimmie Durham (né en 1940) et à Sarain Stump. La rétrospective de Durham a été inaugurée au Remai Modern à Saskatoon en mars 2018, après avoir été présentée dans au moins quatre grandes institutions aux États-Unis. La controverse entourant l’exposition Jimmie Durham: at the Center of the World a commencé lorsque des membres de la nation cherokee ont publiquement remis en cause les revendications de descendance cherokee de Durham. L’exposition Mixing Stars and Sand: the Art and Legacy of Sarain Stump de Sarain Stump (1945-1974) à la Mackenzie Art Gallery est présentée de mars à juin 2018.
  • 2 Situé dans le quartier communément connu de Marpole à Vancouver.
  • 3 Cité par Claxton.
  • 4 Qui se traduit par « Peuple du bison » ou « Nation du bison ».